JEANNE D’ARC, Charles Péguy (1897)

Publié le 27 Septembre 2013

JEANNE D’ARC, Charles Péguy (1897)

Synopsis:

Sous le titre de Jeanne d'Arc sont regroupés trois drames, présentés chacun en trois actes.

A Domremy

« 1425.

En plein été

Le matin,

Jeannette, la fille à Jacques d’Arc, file en gardant les moutons de son père, sur un coteau de la Meuse. On voit au second plan, de la droite à la gauche, la Meuse parmi les prés, le village de Domremy avec l’église, et la route qui mène à Vaucouleurs. (…) Jeannette a treize ans »

Comme dans une tragédie grecque, le décor est en place. La route qui mène à Vaucouleurs ne s’arrêtera pas avant la place du marché, à Rouen. Dans ce premier drame en trois parties, Jeannette devient Jeanne ; les premiers dialogues avec son amie Hauviette décrivent la misère de la France, telle que les Lorrains souhaitent la victoire définitive des Anglais pour être en paix. Les deux parties suivantes retracent l’acceptation difficile par Jeanne de sa mission ; son départ manqué pour Vaucouleurs, puis sa « partance » définitive à ses dix-sept ans: « Jeanne cesse de filer ; elle met la laine et les fuseaux sur la planche. » (1er acte, 4ème partie, p. 92).

« Tous les soirs passagère en des maisons nouvelles,

J’entendrai des chansons que je ne saurai pas ;

Tous les soirs, au sortir des batailles nouvelles,

J’irai dans des lieux que je ne saurai pas. » (2ème acte, p.79)

Les Batailles

Ce drame retrace la préparation à la bataille d’Orléans ; la victoire n’est pas commentée. Puis à partir la blessure de Jeanne devant les murs de Paris commence le déclin : Charles VII sacré peu avant grâce à Jeanne interdit un nouvel assaut contre la ville, prétextant qu’elle est à présent sous la protection du duc de Bourgogne. Chacun le sait pourtant allié du roi d’Angleterre. Les défections ne se font pas attendre : Gilles de Rais se fait chef de bande pour continuer à se battre ; Jean d’Alençon dépose les armes pour rejoindre son épouse…

Après un an, Jeanne décide à son tour de conduire une armée sans le consentement du Roi.

Rouen

La première partie du drame présente les débats des juges entre les séances du procès de Jeanne. L’arrivée de l’évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, les fait tourner court. On assiste à un interrogatoire de Jeanne pour avoir le plaisir de l’entendre répondre à propos de son état de grâce : « Si je n’y suis, Dieu m’y mette, si j’y suis, Dieu m’y garde ». Jeanne doute de plus en plus quand avance le drame ; elle qui est privée de Communion cède devant la menace de la torture et renie ses voix. On la retrouve au retour d’un autre reniement signé devant un bûcherpréparé pour elle. Voici la dernière partie en un acte : « je ne suis pas tout à fait sûre de ce que je ferai quand je serai dans la rue » (2ème partie en un acte, p. 323).

La pièce s'achève sur un magnifique acte d’abandon de celle qui avait eu assez de volonté pour tenir une armée.

Analyse :

Une œuvre politique

1897… Pas de doute, la guerre de 1870 fait encore des ravages dans les esprits ! La perte de l’Alsace et de la Lorraine sont des amputations encore à vif. Nous sommes à l’époque du succès de la Jeanne d’Arc à Domrémy d’Henri Chapu (1872), du succès de Cyrano de Bergerac, en 1897 précisément… de tout ce qui rappelle sans trop de batailles la grandeur de la France. Péguy fait entendre la voix de la Lorraine à la France :

« Et j’aime étrangement ceux que j’aimais déjà,

Car je sens comme on aime alors qu’on est fidèle ;

Mon âme sait aimer ceux qui ne sont pas là ;

Mon âme sait aimer ceux qui restent loin d’elle. »

(A Domremy, 3ème partie, p. 92)

Disons également que Charles Péguy est né à Orléans… et que le socialisme qu’il professe le garde d’écrire une œuvre religieuse.

Le modèle : originalité de la présentation ?

Max Gallo en 2012 publie une nouvelle Jeanne d’Arc, s’inscrivant dans la lignée de Péguy, mais aussi de Polly Schoyer Brooks, de Régine Pernou, et de combien d’autres ! Quel est l’intérêt de cette vieille Jeanne d’Arc ? L’œuvre de Péguy a cette originalité de n’être pas biographique ni même hagiographique. On y retrouve ce que Roland Barthes nomme très sérieusement des « blancs » dans l’histoire : la tentative de suicide de Jeanne du haut de la Tour de Beaurevoir est seulement mentionnée, de même que le sacre de Charles VII, la rencontre de Chinon, de Vaucouleurs…

Elle est délibérément poétique ; Charles Péguy distingue les moments théâtraux, les dialogues en prose, des moments poétiques, que sont les monologues de Jeanne développant un sentiment. Ce sont eux qui montrent son indécision, ses doutes… son humanité. Nous sommes parfois tentés de sourire au vu de certaines expressions visiblement choisies pour leur consonance (« ma partance lente »). Au cri d’Homère, Ut pictura poesis, ne lisons pas mot à mot mais gardons une impression générale de chaque morceau de vers !

La question du mal et de l’espérance

Le lecteur qui hésiterait à choisir son camp lors du procès de Jeanne cesse net à la lecture d’une lettre de « Henri, par la grâce de Dieu roi de France et d’Angleterre… » (p. 251). Soit. Les méchants sont les Anglais, Jeanne est la gentille. Mais pourquoi le mal gagne-t-il ? Comment cela est-il possible ? L’Espérance, « cette toute petite fille » de Péguy, est déjà en germe ici. Comme les Français de 1897, les contemporains de Jeanne ne voient que la défaite de la France ; ceux qui ont le courage de poursuive le combat verront en 1453 la victoire des Français.

Editions DEFI- 480 pages- 24,50€

Jeanne d'Arc à Domremy,  Henry Chapu, musée d'Orsay

Jeanne d'Arc à Domremy, Henry Chapu, musée d'Orsay

Je vous défends bien de trouver une seule femme, à Rouen, qui soit plus habile que moi, pour filer la laine.

ROUEN, première partie

Rédigé par Zibeline

Publié dans #Littéraire

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :